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Le boson de Higgs : dix ans après

La découverte historique du boson de Higgs auprès du Grand collisionneur de hadrons, et les avancées réalisées depuis lors dans l'étude de ses propriétés, ont permis aux physiciens de progresser de façon remarquable dans la compréhension de l'Univers

Higgs boson discovery 10th anniversary

Logo des 10 ans de la découverte du boson de Higgs (Image: CERN)

Genève, le 4 juillet 2022. Il y a dix ans, le 4 juillet 2012, les collaborations ATLAS et CMS auprès du Grand collisionneur de hadrons (LHC) annonçaient la découverte d'une nouvelle particule présentant des caractéristiques compatibles avec celles du boson de Higgs prédit par le Modèle standard de la physique des particules. Cette découverte marquait un tournant dans l'histoire de la science et elle a retenu l'attention du monde entier. Elle devait valoir à François Englert et à Peter Higgs, un an plus tard, le prix Nobel de physique pour des prédictions faites des décennies auparavant, conjointement avec Robert Brout, malheureusement décédé avant la découverte, concernant un nouveau champ fondamental, appelé champ de Higgs. Ce champ, présent dans tout l'Univers et se manifestant sous la forme du boson de Higgs, est ce qui donne une masse aux particules élémentaires.

« La découverte du boson de Higgs a été une étape marquante pour la physique des particules. C'était la fin d'une aventure d'exploration qui avait duré plusieurs décennies, et c'était en même temps le début d'une nouvelle ère d'étude de cette particule très spéciale », explique Fabiola Gianotti, directrice générale du CERN et porte-parole (c'est-à-dire responsable du projet) de l'expérience ATLAS au moment de la découverte. « Je me souviens avec émotion du jour de l'annonce. C'était une joie immense pour la communauté de la physique des particules dans le monde et pour toutes les personnes qui ont travaillé sans relâche pendant des décennies pour rendre possible cette découverte. »

En quelques années à peine, les physiciens ont accompli des pas de géant sur le chemin de la connaissance de l'Univers. Il a été confirmé, très vite, que la particule découverte en 2012 était bien le boson de Higgs. Dès lors, les chercheurs ont pu commencer à bâtir un modèle expliquant comment un champ de Higgs omniprésent dans l'Univers a pu s'établir un dixième d'un milliardième de seconde après le Big Bang.

Le début d'une nouvelle aventure

La nouvelle particule découverte en 2012 par les collaborations internationales ATLAS et CMS ressemblait beaucoup au boson de Higgs prédit par le Modèle standard. Mais était-ce vraiment cette particule recherchée depuis si longtemps ? Dès la découverte annoncée, ATLAS et CMS entreprennent d'étudier en détail les propriétés de la particule découverte afin de vérifier que ses propriétés correspondent bien à celles que prédit le Modèle standard. En utilisant des données issues de la désintégration de la nouvelle particule en deux photons (le photon étant le porteur de la force électromagnétique), les expériences démontrent alors que la nouvelle particule n'a pas de moment cinétique intrinsèque, c'est-à-dire de spin  ̶  exactement comme le boson de Higgs prédit par le Modèle standard. À l’inverse, toutes les autres particules élémentaires connues ont un spin, qu'il s'agisse des particules de matière, telles que les quarks « up » et « down » qui constituent les protons et les neutrons, ou des particules porteuses de force, telles que les bosons W et Z.

En observant que les paires de bosons W ou Z peuvent produire par désintégration un boson de Higgs et que, inversement, ils peuvent être le résultat de la désintégration de celui-ci, ATLAS et CMS ont confirmé que les bosons W et Z acquièrent leur masse par leurs interactions avec le champ de Higgs, comme le prédit le Modèle standard. L'intensité de ces interactions explique la faible portée de l'interaction faible, c'est-à-dire de la force qui est responsable d'une forme de radioactivité et qui est à l'origine de la réaction de fusion nucléaire qui se produit dans le Soleil.

Les expériences ont également démontré que le quark top, le quark bottom et le lepton tau, qui constituent les fermions les plus lourds, acquièrent leur masse par leurs interactions avec le champ de Higgs, ce qui là aussi confirme les prédictions du Modèle standard. Pour cela, elles ont observé, dans le cas du quark top, la production du boson de Higgs avec des paires de quarks top, et dans le cas du quark bottom et du lepton tau, la désintégration du boson de Higgs respectivement en paires de bottom et de tau. Ces observations ont confirmé l'existence d'une interaction, ou force, appelée interaction de Yukawa, qui fait partie du Modèle standard mais ne ressemble pas aux autres forces du Modèle standard : elle est portée par le boson de Higgs et son intensité ne procède pas par quantums, c'est-à-dire qu'elle n'est pas égale à des multiples d'une certaine valeur.

ATLAS et CMS ont mesuré la masse du boson de Higgs, estimée à 125 milliards d'électronvolts (125 GeV), avec une précision impressionnante de près d'un millième. La masse du boson de Higgs est une constante fondamentale de la nature qui n'est pas prédite par le Modèle standard. De plus, associée à la masse de la particule élémentaire la plus lourde connue, à savoir le quark top, et à d'autres paramètres, la masse du boson de Higgs pourrait déterminer la stabilité du vide de l'Univers.

Ce ne sont là que quelques-uns des résultats concrets de dix ans de recherches sur le boson de Higgs auprès du collisionneur le plus grand et le plus puissant du monde, qui est le seul lieu où cette particule très spéciale peut être produite et étudiée en détail.

« Grâce aux grandes quantités de données fournies par le LHC, à la performance exceptionnelle des détecteurs ATLAS et CMS, et à de nouvelles techniques d'analyse, les deux collaborations ont pu élargir la sensibilité de leurs mesures du boson de Higgs au-delà de ce qui semblait possible au moment où les expériences ont été conçues », souligne Andreas Hoecker, porte-parole d'ATLAS.

De plus, depuis que le LHC a commencé à produire des collisions de protons à des énergies record en 2010, et grâce à une sensibilité et à une précision inédites dans les quatre principales expériences, les collaborations LHC ont découvert plus de 60 particules composites prédites par le Modèle standard, dont les exotiques « tétraquarks » et « pentaquarks ». Les expériences ont en outre révélé une série d'indices intéressants d'écarts par rapport au Modèle standard, qu'il faudra regarder de plus près. Elles ont par ailleurs étudié de façon plus détaillée que jamais le plasma quarks-gluons (état de la matière qui remplissait l'Univers primordial). Elles ont également observé de nombreux processus rares, réalisé des mesures de plus en plus précises de phénomènes relevant du Modèle standard, et exploré de nouvelles voies dans la recherche de nouvelles particules hors Modèle standard, y compris des particules qui pourraient constituer la matière noire – cette mystérieuse substance qui représente l'essentiel de la masse de l'Univers.

Les résultats de ces recherches apportent des éléments importants à notre compréhension de la physique fondamentale. « Quand on parle de découverte en physique des particules, il ne s'agit pas nécessairement de nouvelles particules, précise Joachim Mnich, directeur de la recherche et de l'informatique au CERN. Les résultats du LHC, obtenus sur plus de dix ans d'exploitation de la machine, nous ont permis de fortement diversifier nos recherches, en fixant des limites très solides sur les possibles extensions du Modèle standard, et d'élaborer de nouvelles techniques de recherche et d'analyse de données. »

Il est à souligner que tous les résultats du LHC obtenus à ce jour se fondent sur 5 % seulement de la quantité totale de données qu'aura produit le collisionneur pendant sa durée de vie. « Avec cet échantillon “réduit”, si l'on peut dire, le LHC a permis des avancées considérables dans notre compréhension des particules élémentaires et de leurs interactions, souligne Michelangelo Mangano, théoricien au CERN. Même si tous les résultats obtenus à ce jour concordent avec le Modèle standard, il reste beaucoup de possibilités pour de nouveaux phénomènes au-delà de ce que prédit la théorie. »

« Le boson de Higgs lui-même pourrait nous révéler des phénomènes nouveaux, y compris des phénomènes susceptibles d'expliquer la matière noire de l'Univers, ajoute Luca Malgeri, porte-parole de CMS. ATLAS et CMS réalisent de nombreuses études pour explorer des processus inattendus auquel participerait le boson de Higgs. »

L'aventure n'est pas terminée

Que nous reste-t-il à apprendre, dix ans plus tard, concernant le champ de Higgs et le boson de Higgs ? Beaucoup de choses. Le champ de Higgs donne-t-il également une masse aux fermions plus légers, ou bien un autre mécanisme est-il à l'œuvre ? Le boson de Higgs est-il une particule élémentaire ou une particule composite ? Peut-il interagir avec la matière noire et pourrait-il nous révéler la nature de cette mystérieuse forme de matière ? Qu'est-ce qui produit la masse du boson de Higgs et son auto-interaction ? Le boson de Higgs a-t-il des frères, ou des cousins ?

Trouver la réponse à ces questions, et à d'autres questions intéressantes, nous permettra, non seulement d'améliorer notre compréhension de l'Univers aux plus petites échelles, mais aussi de sonder certains des grands mystères de l'Univers à l'échelle cosmique, par exemple, la question de savoir comment l'Univers a pris sa forme actuelle, et quel sera son sort ultime. L'interaction du boson de Higgs avec lui-même, en particulier, pourrait être cruciale pour notre compréhension du déséquilibre entre matière et antimatière et de la stabilité du vide dans l'Univers.

Certes, il est possible que des réponses soient apportées à ces questions grâce aux données que fournira la troisième période d'exploitation du LHC, qui commencera bientôt, ou bien aux données que produira le LHC à haute luminosité à partir de 2029. Cependant, les scientifiques pensent que la réponse à d'autres questions irrésolues restera hors de portée du LHC, ce qui rend nécessaire la construction d'une « usine à Higgs ». C'est pourquoi le CERN et ses partenaires internationaux sont en train d'étudier la faisabilité technique et financière d'une machine beaucoup plus grande et bien plus puissante, le Futur collisionneur circulaire, conformément à une recommandation figurant dans la mise à jour la plus récente de la stratégie européenne pour la physique des particules.

« Les collisionneurs de haute énergie restent le plus puissant des microscopes à notre disposition pour explorer la nature aux échelles les plus petites, afin de découvrir les lois fondamentales qui régissent l'Univers, déclare Gian Giudice, chef du département Théorie du CERN. Et, ne l'oublions pas, ces machines ont également des retombées extrêmement bénéfiques pour la société. »

Par le passé, les technologies utilisées pour les accélérateurs, les détecteurs et l'informatique associée ont déjà eu un impact positif et profond sur la société : invention du World Wide Web, développement de technologies de détecteur qui ont permis de mettre au point la tomographie par émission de positons (scanners PET), ou encore conception d'accélérateurs pour l'hadronthérapie servant au traitement du cancer. De plus, la conception, la construction et l'exploitation des collisionneurs et des expériences ont été l'occasion de former les nouvelles générations de scientifiques et d'experts dans différentes disciplines, selon un modèle unique en son genre de collaboration internationale.

Informations complémentaires

Communiqué de presse video: https://videos.cern.ch/record/2296228

Les photos du 4 juillet 2022 seront disponibles ici.

Des informations complémentaires sur le boson de Higgs sont disponibles ici.