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ALICE mesure le degré de transparence de la Voie lactée à l'antimatière

Cette découverte facilitera la recherche, dans l'espace et en ballon, d’antimatière qui pourrait provenir de la matière noire

Nature Physics: First measurement of the absorption of anti-3He by ALICE
Impression d'artiste de l'étude ALICE sur la transparence de la Voie lactée à l'antimatière (Image: ORIGINS Cluster, Technical University Munich)

Comme le montre la collaboration internationale ALICE dans un article publié aujourd'hui dans la revue Nature Physics, l'équivalent d'un noyau atomique léger dans l'antimatière peut parcourir une longue distance dans la Voie lactée sans être absorbé. Cette découverte, faite par l’équipe d’ALICE après introduction, dans des modèles, de données sur les noyaux d'antihélium produits au Grand collisionneur de hadrons (LHC), facilitera la recherche, dans l'espace et en ballon, d'antimatière qui pourrait provenir de la matière noire

Des noyaux d'antimatière légers, tels que l'antideutéron et l'antihélium, ont déjà été produits sur Terre, dans des accélérateurs de particules, mais ils n'ont encore jamais été observés avec certitude en provenance de l'espace. Dans l'espace, ces types d’antinoyaux, de même que les antiprotons, pourraient être créés lors de collisions entre les rayons cosmiques et le milieu interstellaire, mais ils pourraient aussi être produits lorsque d'hypothétiques particules susceptibles de constituer la matière noire présente dans tout l'Univers s'annihilent mutuellement.

Ainsi, des expériences menées dans l'espace, comme celle faisant appel au Spectromètre magnétique alpha Alpha Magnetic Spectrometer - AMS), assemblé au CERN puis arrimé à la Station spatiale internationale, recherchent des noyaux légers d'antimatière dans le but de trouver la matière noire. C'est également l'objectif de la prochaine mission de l’expérience GAPS (General antiparticle spectrometer), qui utilise des ballons stratosphériques.

Pour savoir si la matière noire est à l'origine d'antinoyaux légers qui pourraient éventuellement être détectés en provenance de l'espace, les scientifiques doivent déterminer le nombre, ou plus précisément le « flux », d'antinoyaux légers qui devrait atteindre la zone proche de la Terre où se déroulent ces expériences. Ce flux dépend de caractéristiques telles que le type exact de source d'antimatière présente dans notre galaxie et la cadence à laquelle cette source produit des antinoyaux, mais aussi de la cadence à laquelle les antinoyaux devraient ensuite disparaître par annihilation ou absorption lorsqu'ils rencontrent de la matière ordinaire sur leur parcours en direction de la Terre.

C'est là qu’interviennent les dernières recherches de la collaboration ALICE. En étudiant la manière dont les noyaux d'antihélium-31 produits lors de collisions d'ions lourds et de protons au LHC interagissent avec le détecteur ALICE, les scientifiques d'ALICE ont pu mesurer, pour la première fois, le taux de disparition des noyaux d'antihélium-3 lorsqu'ils rencontrent de la matière ordinaire. Pour cette étude, c’est le matériau du détecteur ALICE qui constitue la matière ordinaire avec laquelle interagissent les antinoyaux.

L'équipe d'ALICE a intégré le taux de disparition ainsi obtenu dans un programme informatique accessible au public appelé GALPROP. Ce programme simule la propagation des particules cosmiques, y compris les antinoyaux, dans la galaxie. L’équipe a étudié deux modèles de flux de noyaux d'antihélium-3 attendus à proximité de la Terre après le voyage de ces noyaux en provenance de sources présentes dans la Voie lactée. S’agissant des sources étudiées, l'un des modèles a pris pour hypothèse des collisions de rayons cosmiques avec le milieu interstellaire, et l'autre modèle des particules hypothétiques de matière noire, appelées particules massives interagissant faiblement (WIMP).

Pour chaque modèle, l'équipe d'ALICE a ensuite évalué le degré de transparence de la Voie lactée aux noyaux d'antihélium-3, c'est-à-dire la capacité de la galaxie de laisser passer les noyaux sans qu’ils soient absorbés. Pour ce faire, l'équipe a réparti les flux selon qu'ils ont été obtenus avec disparition d’antinoyaux ou sans disparition d’antinoyaux.

Dans le modèle prenant pour hypothèse des particules de matière noire, les scientifiques d'ALICE ont obtenu une transparence d'environ 50 %, tandis que, dans le modèle prenant pour hypothèse des rayons cosmiques, la transparence variait de 25 à 90 % en fonction de l'énergie de l'antinoyau. Ces valeurs de transparence montrent que les noyaux d'antihélium-3 provenant de la matière noire ou de collisions de rayons cosmiques peuvent parcourir de longues distances, de l'ordre de plusieurs kiloparsecs2, dans la Voie lactée, sans être absorbés.

« Nos résultats démontrent, pour la première fois à partir d'une mesure d'absorption directe, que des noyaux d'antihélium-3 provenant d'aussi loin que le centre de notre galaxie peuvent atteindre des zones proches de la Terre », explique Andrea Dainese, coordinateur pour la physique à ALICE.

« Ces résultats montrent que la recherche de noyaux d'antimatière légers en provenance de l'espace reste un moyen puissant de traquer la matière noire », souligne Luciano Musa, porte-parole d'ALICE.

Première mesure de l'absorption des noyaux d'antihélium-3 dans la matière et impact sur leur propagation dans la galaxie. (Video in English: ORIGINS Cluster, Technical University Munich)

 

Pour en savoir plus :

Images de l'expérience ALICE


1 Les noyaux d'antihélium-3 sont constitués de deux antiprotons et d'un antineutron, respectivement les équivalents dans l'antimatière du proton et du neutron.

2 Un kiloparsec équivaut à un millier de parsecs. Un parsec équivaut à environ 31 mille milliards de kilomètres.